/ / /

"Les épaves du passé, arrondissement d’Yvetot" par Dieudonné Dergny, 1900

Réédité en 1981 aux éditions Gérard Monfort (texte introduit en août 2010)

 

 

Frettemeule-en-Caux

 

Comme l’industrie aujourd’hui disparue dont ce village tire son nom, les moulins à vent[i], autrefois nombreux dans cette partie du pays de Caux, et dont on voit encore le dernier entre Ectot-les-Baons et Baons-le-Comte, la pauvre petite église de Frettemeule, elle aussi, est appelée à disparaître et nous le craignons dans un temps trop court.

Ce n’est pas que ses murs menacent ruines, que sa couverture en ardoises ne soit pas bonne, que la cage du clocher ne soit pas bien couverte, mais toutes ses fenêtres qui ne sont aucunement entretenues, laissent par de larges trous au vitrail, passer le vent et la pluie. Son état d’abandon fait peine à voir.

Le petit mobilier qui date en partie du siècle dernier et le reste, d’une époque encore plus reculée, crie au secours. Les bancs sont pour la plupart hors de service, les sièges qui sont dans l’allée et cloués à chaque banc sont dans un pareil état (1).

Les ornements des petits autels, en plâtre moulé, s’effritent sous l’humidité qui les ronge, la corniche de la nef cède de place en place et le plâtras des murailles se détache par morceaux. Le pavé usé n’est plus remplacé. Il n’est pas jusqu’aux deux à trois prie-Dieu de la châtelaine et de ses filles, restés là non-seulement pour rappeler une époque passée, mais par leur présence et leur modeste disposition, nous faire voir qu’autrefois sans luxe et sans apparat on se faisait un devoir d’entretenir l’ameublement des églises, si petites qu’eussent été les paroisses et malgré la médiocrité de leur revenus.

Il est vrai que le temps n’est plus où l’église de Frettemeule (2) ainsi que tant d’autres, recueillait la gerbe à la Vierge, les œufs de Pâques, le pain des Trépassés. Et puis, en outre du pain bénit de paroisse, présenté chaque dimanche à l’autel, il en était offert un à chacune des fêtes de la Vierge ; et à la fête de Saint-Nicolas, les garçons, puis les filles à celle de Sainte-Catherine, en présentaient aussi un à l’offrande, ce qui avait également lieu à la messe de minuit pour la fête des Bergers (3).

A cela il y avait en plus de la vente des pommes du cimetière, celle de l’herbe du carlet (4) de Saint Pierre, le revenu de la terre de la lampe (provenant d’une fondation pour l’entretien d’une lampe à l’église) et la location des bancs, qui en 1758 produisit la somme de dix-sept livres seize sols.

Habitants de Frettemeule, il n’est que temps de réagir par vous-mêmes, par vos dons et par vos cotisations, contre un tel état de choses. Pensez à ceux qui sont inhumés autour de l’église, ce sont vos pères, vos mères, vos enfants, vos parents, vos amis. Ils vous crient du fond de leur tombe : n’abandonnes pas la pauvre petite église, et nos cendres seront respectées.

Cette église possède une cloche ancienne qui date du temps de Jacques des Prez, seigneur-patron de Frettemeule, mentionné dans un compte de la fabrique du 6 mars 1546, et dont nous parlons à la suite.

On lit sur cette cloche :

L’an mil Vcc L X II fus mise en ceste église

 

Les seigneurs de ce lieu possédèrent de tout temps le patronage de l’église. En 1433, Jean des Prez présente Guillaume d’Orbec[ii], d’une ancienne famille alliée aux Monchy et qui portait : d’or au lion de gueules. A cette époque la cure valait quarante-cinq livres et comptait quinze paroissiens.

Nous donnons une généalogie de la famille Des Pres qui possédait la terre de Frettemeule dés le XVIe siècle. Cette généalogie donnée d’après la Galissonnière nous la complétons par divers renseignements recueillis au cours de nos recherches.

Jean des Prez, seigneur de Frettemeule, épousa Roberte de Vely, qui étant veuve en 1513, abandonna ses droits de douaire en faveur de son fils Gilles.

Gilles des Prez, seigneur de Frettemeule, marié à Jeanne du Tot, fille de Jean du Tot, seigneur de Gonfreville et Renée de Menildot, fut père de Jacques des Prez, seigneur de Frettemeule, qui eut pour femme Françoise Le Monnier, fille de Roland Le Monnier, sieur de Bermonville. De cette union est issu : Adrien des Prez, seigneur de Frettemeule, marié à Madeleine Jauldin, fille de Jean Jauldin, seigneur de Bébec et de Gabrielle de Courcy. En 1580 Adrien assista avec "Gabrielle de Courcy, sa belle-mère, Jean Dujardin, porte-Dieu de l'église de Fry et Charles Le Court, curé de Bébec, à la distribution des deniers provenant de la vente des meubles de Guillaume Jauldin, décédé, curé de Fry et en 1594 il fut excusé de son appel au ban comme étant proche l'admiral pour le service du roy";

Ledit Adrien fut père de Cléridas des Prez, seigneur de Frettemeule, marié à Catherine Le Vendanger dont il eut six enfants : Guillaume qui suit, Jacques, Alexandre, Adrien, Charles et Nicolas.

En 1599, Cléridas fut déchargé du droit des francs-fiefs, après avoir fait "apparoir du service actuel par luy rendu à Sa Majesté au siège d'Amiens".

Guillaume épousa Marie Duchemin et en eut : 1° Nicolas qui devint curé de La Gaillarde ; 2° Guillaume décédé sans enfants ; 3° Charles, marié Jeanne de Caumont.

De cette union est issu Guillaume des Prez, seigneur de Frettemeule, qui le 22 juin 1697 présenta à la cure du dit lieu Nicolas Langlois, en place de Marin de Rouen qui n’avait pas accepté.

En 1705 à la suite d’un ouragan ayant causé du dommage à l’église, Guillaume des Prez, seigneur de Frettemeule, Bébec, etc., donne la somme de quatre livres pour aider le trésor à faire les réparations.

Du dit Guillaume est issu Charles-François des Prez, chevalier, seigneur et patron de Frettemeule, Bébec, Brecey, etc., qui en 1725 donna à l’église de Frettemeule la somme de deux cents livres pour la confection de la contre-table encore au maître autel, et porte les armes du donateur : d’azur au chevron d’or accompagné de trois têtes de léopard d’argent, deux en chef et une en pointe. Cet écusson est accompagné d’un autre : de …… au chevron…… accompagné de trois croix potencées de …… deux en chef et une en pointe.

Ces dernières armes sont celles de la femme de Charles-François des Prez, dont le nom de famille nous est inconnu.[iii]

Charles-François parait n’avoir eu pour héritière qu’une seule fille Anne-Emerie des Prez[iv], mariée le 9juin 1736 à François de la Haye, chevalier, seigneur d’Ypreville et qui par suite de cette alliance devint seigneur patron de Frettemeule, Bébec, etc. Il demeurait en sa terre de Frettemeule et présenta en la cure du dit lieu, d’abord Jean Vallée, puis le 21 juillet 1753 Antoine Delannoy[v].

Le 10 avril 1760, Anne-Emerie des Prez, dame de Frettemeule, Bébec, Brecey, Belletre, Breteuil etc., fait à l’église de Frettemeule une fondation pour elle et feu François de la Haye, son époux.

Terminons par une litre seigneuriale qui autrefois ceignait l’église. Sous une couche de badigeon que nous avons pu enlever en partie nous avons vu quelques détails de deux écussons mis à découvert. Nous pensons ces armoiries être les mêmes que celles de la contre table ?

 

 

(1) Ces sièges de la forme la plus primitive et que nous n’avons vue ailleurs, consistent en trois planches disposées de manière à former le dossier, l’accoudoir et le siège proprement dit.

(2) Un compte de la fabrique de l’église de ce lieu de 1705 fait mention à cette époque de la quête pour le cierge des Trépassés, de celle des œufs de Pâques, ainsi que des gerbes aumônées.

(3) Pour ces quêtes, ces diverses offrandes et pour les fêtes de Saint Nicolas, Sainte Catherine et celle des jeunes gens et des bergers, voir Usages et Coutumes, tome I pp. 14,30 et 377, tome II pp 92, 100, 140 et suiv.

(4) C’est ainsi que dans un compte de 1705 est nommée la place publique, souvent désignée dans le pays de Caux sous le nom de carreau.



[i] Le nom de Frettemeule vient de  moulin  simplement et non des moulins à vent car ceux-ci n’apparaissent que vers 1100. Or selon l'abbé Cochet « le nom de Frettemeule semble indiquer l’époque franque ». Il date donc d’avant 911, d’avant les moulins à vent.

[ii] Selon l’abbé Maurice, Guillaume d’Orbec est présenté en 1494.

[iii] Le retable est offert par Guillaume et les armes qui y figurent sont les siennes et celles de son épouse Louise Briffaut, dame de Brécy qui porte « d’azur au chevron d’or accompagné de trois croix de chevalier du même »

[iv] Charles-François meurt sans enfant, assassiné chez lui en 1749. Anne-Emerie est sa soeur.

[v] Lire « Charles de Hanoy »       

 

Les notes en bas de texte sont de Sylves Lamiaux

Partager cette page
Repost0
Publié par les amis d'Ancretiéville